Ode à mon corps imparfait
Tout au-dessus, on trouve haut perchée
Une touffe insolite d’une forme indéfinie
Dont chaque jour pourtant, l’architecture varie
Et qui se laisse aussi, au fil des ans
De plus en plus parsemer de fils blancs
Que je tente tant bien que mal de cacher
Quelques rides au coin des yeux, signe de sourires fréquents,
Lèvres un peu gercées émoussées sous la bise
Recouvrent une bouche qui dit bien des bêtises
Et surmontent un menton, ma foi, un peu épais,
Qui aura la grâce de ne pas trop se friper
Quand arrivera l’heure dite du flétrissement.
Une peau avec des taches, des bosses, des trous,
Qui avant d’avoir la teinte qu’arborent les naïades
Rougit inégalement, boutonne en persillade,
Mais c’est cadeau de mon père, qui était un peu roux
Alors je la câline à son souvenir si doux.
Enveloppe fragile et douce comme un doudou ;
Et sous des épaules arrondies et languides
Des bras dodus et potelés, qui disent
Que mon grand appétit et ma gourmandise
Sont des faiblesses que je ne peux cacher,
Je suis en effet gourmette bien assumée
Plaisir de bouche vaut mieux qu’une vie insipide
Et sur l’un d’eux s’impriment des griffures de chat
Souvenirs des humeurs du domestique félin
Qui ne souffrait que nul ne fut sur son chemin
Et donc à griffes nues se prenait à gravir
L’importun, lui laissant ainsi en souvenir
A jamais la trace de ses pas sur son bras.
Et mes mains… ah ! mes mains !
Rondes et abimées, car je m’en sers souvent ;
Et que je ne m’en occupe, je l’admets, pas vraiment.
Toutes grêlées, les pauvres, de traces de verrues
Une plaie d’enfance, en douleurs disparue
Dont ces bombements clairs demeurent les témoins;
Difficile aussi à la vue de soustraire
Ces poignets courts et patauds qu’aucun bracelet ne flatte
La nature m’ayant pourvue de jointures de primates
Moi qui rêve pourtant d’attaches toutes fines
Graciles et précieuses comme celles des ballerines,
Mais bien trop fragiles pour ma vie cavalière
Un ventre pas assez plat selon certains experts,
Dont les bourrelets moelleux rendent assez imprudent
le port du jean taille basse ou d’un tee-shirt moulant,
mais dont l’émouvant relâchement rappelle
au visiteur régulier ou plus occasionnel
qu’il fut nid à bébés durant deux longs hivers ;
Et sous ma poitrine à l’ampleur maternelle
Qui attire, je l’avoue, souvent des compliments
Bat un cœur qui s’emballe, qui rit, qui se fend,
et qui vibre parfois jusqu’à en perdre haleine
Au gré des émotions, des rencontres et des peines,
de sensations troublantes et d’ivresses charnelles.
Descendons maintenant un peu plus bas encore
Sur des cuissots courtauds, et des genoux épais
Qui furent, mais chut ! car c’est un secret,
Dotés autrefois d’un talent sidérant
Une souplesse incroyable des tendons, permettant
De faire le grand écart sans le plus petit effort
Au sol enfin, je pose dix orteils ronds,
Comme si à mes pieds quelqu’un avait greffé
Une brochette de mini boudins antillais
Mais cet élégant attribut charcutier
Qu’est-ce qu’il m’aura fait danser !
Tant il me porte avec obstination.
Mon corps, mon allié, fiancé éternel,
Quand je te regarde, dépouillé d’artifices,
Sans autre ornement qu’un duvet au pubis
Je te trouve beau de face, profil ou trois quarts
Et n’ai plus peur enfin de t’offrir aux regards,
Peu importent les coupures et les épis rebelles
Comme un ami fidèle, un frère de tranchées,
bien que je t’aie parfois affamé, épuisé, puni,
Bienveillant, sans faillir, d’une noblesse inouïe,
Tu me donnes en cadeau, généreux donateur
Plaisir, délice, volupté et bonheur
Que je reçois humblement avec sérénité.