9 ans de solitude
Année 1
Quel sentiment de liberté !
Je me sens grandie de cet homme quitté,
que je n’aimais plus et dont la manière d’être
a fini par émousser toute affectivité.
Sure de moi je me lance dans cette nouvelle vie.
Tout s’installe, les enfants doivent se partager
Pas tous les jours facile pour eux de s’adapter.
dans un logement trop petit et pas vraiment choisi.
Avec la certitude que l’on a eu raison
et qu’on mérite mieux, que la vie s’ouvre enfin,
qu’un nouvel amour va vite pointer son nez,
prise d’une frénésie de sorties, de copains,
je m’épuise gaiement à me montrer au monde
Année 2
La gaité s’estompe même si l’énergie reste,
je fais beaucoup de bruit, trop, juste pour qu’on me voie.
Faire le show pour séduire quitte à bien se vautrer,
Je deviens la madone des nuits karaoké,
la championne du monde de danse sur comptoir.
Double personnage, ambiance schizophrène :
Je joue la mère parfaite une semaine sur deux,
Protégeant mes enfants je ne les quitte pas des yeux,
sagement couchée tôt, repas équilibrés,
devoirs et câlins, tendre complicité.
Et l’autre moitié du temps, c’est soirée cabaret,
Enchainement d’agapes, de fêtes et de sorties,
Tous les soirs c’est la bringue, on fume on boit on rit
Abus d’alcool et de clopes, souvent jusqu’à l’excès.
Année 3
Quelques rencontres fortuites
J’ai beaucoup de succès auprès d’hommes toxiques
L’amour vient à manquer, ils ne m’en donnent pas.
Etreintes à la va-vite, camouflet sur sofa,
je souffre sans me l’avouer d’amours anorexiques
Parfois mon cœur s’emballe, s’échauffe, s’amourache
De la complicité, de la conversation ?... voilà que je m’attache !
Mais quelques temps plus tard, lui aussi fout le camp.
Je me dis que c’était le bon, mais … pas au bon moment.
Encore une peau de banane qui se met sur mon chemin
Et sur laquelle je glisse, en me blessant les mains.
Année 4
Heureusement qu’il y a les enfants !
Ils portent leur maman de leurs bras délicats
et ont en plus l’audace d’avoir confiance en moi.
On forme une belle équipe, on s’entraide, on se porte,
Grande connivence et rires partagés.
Cet amour là au moins est une réalité.
Petite accalmie, rémission, soufflement
La solitude se prend à devenir amie
et j’apprends à me satisfaire de ma compagnie.
Je me trouve sympa comme fille, finalement.
Je cherche à me faire du bien, et me remets au sport
Je cours sur une piste plutôt que sur le dance floor.
Année 5
Angoisse du temps qui passe bien trop vite
La vieillesse arrive à un rythme affolant
Bientôt je serais ridée, moche et toute desséchée,
ma vie glisse sans frein sur une planche savonnée.
Ma trentaine disparait sans que je ne l’aie touchée,
Comme si ces années n’avaient pas eu de matière
Sans plus de consistance que les trous dans le gruyère
Aussi vite passées, aussi vite oubliées.
Alors je me perds dans des régimes déments.
Compter les calories, ça occupe l’esprit.
Je maitrise mon corps avec acharnement.
Je crois qu’être maigre c’est être attrayante,
Mais à me façonner, j’en oublie la vie.
Je rentre dans du 34, c’est ma seule victoire.
Et le regard des hommes n’est pas plus désireux.
Année 6
Putain ! j’ai 40 ans.
Comme le présente l’église c’est l’âge canonique.
Où je peux être au service d’un ecclésiastique
Sans risquer de l’exposer à la tentation
A mon âge pensez-vous ! qu’y trouverait-il de bon… ?
Pourtant, contrairement à ce que dit le clergé…
On me dit alentour que c’est la plus belle heure.
Que c’est à ce moment la que la vie prend couleur
Que les femmes sont belles, désirables à souhait.
Mais,… ce plein épanouissement de la quadragénaire,
qui offre parait-il des délices charnels,
Si on ne le partage pas, ça va être gaspillé…
Ça vaut bien la peine d’être une bombe sensuelle !
Année 7
Tant de temps sans homme, jamais je l’aurais cru !
J’ai quoi, qu’est ce qui se passe, c’est quoi le souci
Les ours mal léchés succèdent aux plans foireux,
Aux hommes mariés, aux pleutres, aux indécis.
Je me dis que la vie est une loterie
Qu’il y a des gagnants mais que je ne suis pas dedans
Que le bon bulletin se trouve en Australie
Que la chance est perverse lorsqu’elle fait son tri.
Que les belles histoires se passent au cinéma
Mais que dans la vraie vie, on est bien loin de ça
les princes ne sont charmants que dans les contes de fées
Mais moi je suis désolée, des fées, j’en croise jamais.
Année 8
C’est bon je renonce, je suis exténuée
Fatiguée de courir, de me démener
Plutôt que de chercher une aiguille dans une meule
Trouvons des avantages à vivre toute seule
Je mange ce que je veux, même rhubarbe et fenouil
me vautre en pyjama devant Secret Story
Je dors en diagonale, chante François Valery
Erige en art de vivre le concept de glandouille
Longues balades nez au vent dans les rues de la ville
Photo, écriture, petits loisirs tranquilles
La quarantaine finalement, je trouve ça plutôt peinard
J’allume peu à peu les phares antibrouillard
Année 9
Et lorsque l’on s’est enfin fait une raison
Que l’on s’est dit prenons de la vie ce qu’elle donne
Que l’on n’est plus en quête de choses inaccessibles
Un loup gris sort du bois, rencontre imprévisible
D’abord on n’y croit pas, on se retourne pour voir
Est-ce bien à moi que ce type s’adresse ?
Qui reste déjeuner, n’a pas le feu aux fesses
Et prend la liberté de me tenir la main
On cherche l’entourloupe, le caillou dans le soulier
Il y a forcément un moment ou ça va bien foirer.
A quel moment vais-je me trouver à terre
Avec ma seule tristesse pour colocataire
Et méfiante on attend le jour où il dira
La sentence toute faite de l’amourectomie
« Finalement, je préfère qu’on reste bons amis »
Elle viendra forcément dit ma petite voix
Et puis elle ne vient pas, claire reste la météo
Et ça fout les jetons, car ça parait trop beau
Peur de tout ce soleil qui repousse la bruine
Trouille de devoir me tartiner de Biafine
Je me suis si souvent demandée « pourquoi pas moi ? »
Et tout à coup, perdue je pense « pourquoi moi ? »
Qu’ais-je en plus au fond que les autres n’ont pas ?
C’est quand même pas mes fesses qui le rendent gaga ?
Et comment adopter cet amour si soudain
Et comment éviter que ça tourne en eau de boudin ?
Ça vire dans ma tête, ça pense, ça s’interroge
Ce n’est pas parce qu’il ronfle que je ne dors pas bien
Et puis étonnamment, l’apaisement arrive
Je finis par accepter de pouvoir être aimée
Et l’idée du bonheur est une réalité
Pour enfin vivre ma vie au lieu de la penser